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LIVRE II, § II.

se laisser aller à son dépit et à son aversion contre un de ses semblables.

II

Ce que je suis, après tout, c’est une misérable chair, un faible souffle ; mais il y a de plus en moi le principe directeur de tout le reste[1]. Laisse donc là les livres ; ne tarde plus un instant ; car ce délai ne t’est plus permis. Comme si déjà tu en étais à la mort, dédaigne ce triste amas de chairs[2], de liquides et d’os, ce frêle tissu, ce réseau entrelacé de nerfs, de veines et d’artères. Bien plus, ce souffle même qui t’anime, vois ce qu’il est : du vent, qui ne peut même pas être toujours égal et uniforme, rejeté à tout moment et à tout moment aspiré de nouveau. Quant au troisième élément de notre être, le principe chef et maître[3], voici ce que tu dois en

  1. Le principe directeur de tout le reste. Distinction toute spirituelle des deux principes dont notre nature est composée ; le principe supérieur doit commander au principe subordonné, qui est fait pour obéir. La doctrine de Marc-Aurèle est ici très-platonicienne.
  2. Dédaigne ce triste amas de chairs. C’est le langage le plus austère de l’ascétisme stoïcien et chrétien.
  3. Le principe chef et maître. C’est la raison mise au-dessus du principe vital, et de la matière dont le corps est composé.