Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Barthélemy-Saint-Hilaire.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
462
PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

XXXII

Quelle infime parcelle chacun des êtres n’ont-ils pas reçue dans la durée du temps insondable et infini[1] ! En un instant, ils disparaissent engloutis dans l’éternité. Quelle parcelle infime de la substance totale ! Quelle parcelle infime de l’âme universelle ! Quelle misérable portion du globe entier n’est pas la motte de terre[2] où tu es condamné à ramper ! En pesant tout cela dans ton cœur, comprends qu’il n’est au monde rien de grand, si ce n’est d’agir comme le veut ta nature particulière et d’accepter[3] ce que produit la commune nature.

  1. La durée du temps insondable et infini. Personne n’a parlé en termes plus nets et plus grands de la petitesse de l’homme placé entre les deux abîmes du temps : le passé et l’avenir. Depuis Marc-Aurèle, Pascal seul a retrouvé ces accents solennels, que Bossuet lui-même n’a point dépassés. Voir plus haut, liv. IX, § 4, et liv. V, §§ 23 et 24, et les notes.
  2. La motte de terre. Ce que dit Marc-Aurèle d’un coin de la terre, relativement à la terre entière, est encore bien plus vrai de la terre par rapport à l’univers. Chaque jour l’astronomie nous en apprend beaucoup à cet égard ; mais le sentiment que nous inspirent ses découvertes ne peut pas être plus profond que celui de Marc-Aurèle.
  3. D’agir… d’accepter. Voir le développement de ces fortes pensées plus haut, liv. III, § 4, et liv. V, § 8.