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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

une vigilance constante, et que tu dois effacer en toi, dès que tu les surprends, en te faisant les objections suivantes : « L’idée que j’ai en ce moment n’est pas indispensable[1] ; l’acte que je vais faire est de nature à relâcher les liens de la communauté[2] ; ce que je vais dire n’est pas ma pensée. » Regarde, en effet, comme une des plus énormes fautes de parler contre ta conscience. Enfin, une quatrième erreur, que tu peux avoir à te reprocher, c’est que l’acte dont il s’agit soit le fait d’un homme qui se laisse vaincre, et qui soumet lâchement[3] la plus divine partie de son être à la portion la moins précieuse, à la portion mortelle de son corps[4], et aux voluptés grossières que le corps exige.

  1. N’est pas indispensable. Il semble qu’ici le texte n’est pas assez explicite ; une idée n’est pas fausse ou blâmable, parce qu’elle n’est pas nécessaire. Il n’est pas besoin qu’elle soit indispensable pour être juste. Il y a là quelque obscurité, qu’il n’a pas dépendu de la traduction d’éclaircir.
  2. De la communauté. C’est-à-dire, de l’ordre universel des choses, qui est commun à tous les êtres sans exception.
  3. Qui soumet lâchement… C’est là tout le secret de la destinée de l’homme et de sa nature. Le Stoïcisme l’a profondément connu, et tout son effort a eu pour objet de soumettre la partie animale de notre être à la domination absolue de la raison, et de subordonner le principe qui n’est pas intelligent à celui qui l’est.
  4. La portion mortelle de ton corps. Il est impossible de professer plus nettement le spiritualisme. Cette doctrine est encore développée et plus précise, liv. VII, § 55. Voir le Criton de Platon, pages