Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Barthélemy-Saint-Hilaire.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

sont-ils pas tous également des brigands[1] et des voleurs[2] ?

XI

Il faut se rendre bien compte, par une étude méthodique, de la manière dont les choses se changent les unes dans les autres ; applique-toi sans cesse à cette question, et fais-en spécialement le constant exercice de ta pensée. Rien n’est plus propre à élever l’âme[3] ; elle se dépouille du corps[4] ; et quand l’homme songe qu’il va falloir dans un instant quitter tout cela, en sortant de la société de ses semblables, il se consacre tout

    intérêt général de nation ; mais plus tard ce noble but s’efface aux yeux de l’armée ; l’intérêt individuel prend le dessus ; et c’est alors une sorte de pillage organisé. Après plusieurs campagnes, Alexandre est obligé de faire brûler les bagages de ses soldats, c’est-à-dire le fruit de leurs vols. Ce qu’il y a de pis, c’est que le courage décroît à mesure que la cupidité se satisfait et que la richesse augmente.

  1. Des brigands. Au temps de Marc-Aurèle, c’était là une idée bien neuve et bien hardie.
  2. Et des voleurs. Il n’y a dans le texte grec qu’un seul mot, qui a la force des deux que j’ai dû employer. — Cette réflexion de Marc-Aurèle a déjà le ton et le tour que plus tard doit prendre Pascal, sans connaître sans doute son prédécesseur.
  3. Rien n’est plus propre à élever l’âme. En lui faisant voir la mobilité perpétuelle de toutes choses, et la vanité de nos passions et de nos intérêts.
  4. Elle se dépouille du corps. C’est la doctrine platonicienne, qui fait de la philosophie l’apprentissage de la mort. L’âme peut le réaliser à peu près dès cette vie,