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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

III

Tout ce qui t’arrive dans la vie, arrive de telle sorte que la nature te l’a rendu supportable[1], ou que tu es hors d’état de le supporter avec la nature que tu as. Si l’accident est tel que tu sois de force à l’endurer[2], ne t’en plains pas ; mais subis-le avec les forces que t’a données la nature. Si l’épreuve dépasse tes forces naturelles, ne te plains pas davantage[3] ; car, en te détruisant, l’épreuve s’épuisera elle-même. Toutefois, n’oublie jamais que la nature t’a fait capable de supporter tout ce qu’il dépend de ta volonté seule[4] de rendre supportable, ou intolérable, selon que tu juges que c’est ton intérêt de faire la chose, ou qu’elle est un devoir pour toi.

  1. La nature te l’a rendu supportable. Voir plus haut, liv. VIII, § 46, la même pensée, mais moins développée qu’ici.
  2. Que tu sois de force à l’endurer. Cette force de résistance varie beaucoup avec les individus ; mais l’habitude donne une puissance nouvelle même aux natures les plus énergiques.
  3. Ne te plains pas davantage. En d’autre termes : Résigne-toi à la mort qui te menace ; elle finira tous tes maux, s’ils sont par trop violents.
  4. Il dépend de ta volonté seule. C’est le fondement inébranlable de la morale stoïcienne. Il n’y a guère que le Stoïcisme qui ait compté si généreusement sur l’énergie presque toute-puissante de la volonté.