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LIVRE IX, § XXXV.

XXXV

La perte de l’existence n’est pas autre chose qu’un changement[1]. Cette vicissitude plaît à la nature universelle, qui a fait que tout est bien[2], que tout a été de toute éternité semblable à ce qui est, et que tout sera à l’avenir semblable à ce qui a été. Et toi, qu’oses-tu dire[3] ? Que tout dans le monde a toujours été mal, que tout sera mal à jamais, et que, parmi ces Dieux si nombreux, il ne s’est pas trouvé une seule puissance capable de redresser ce désordre, et tu prétends que l’univers a été condamné à des souffrances qui ne doivent jamais cesser[4] !

  1. La perte de l’existence… un changement. La langue grecque permet ici une opposition, et un cliquetis de mots de forme presque identique, que notre langue ne nous fournit pas.
  2. Qui a fait que tout est bien. C’est l’optimisme qui est la foi de Marc-Aurèle ; mais l’optimisme, pour être bien compris et bien pratiqué, exige une force d’âme et une humilité qui sont toujours très rares.
  3. Et toi, qu’oses-tu dire ? Tournure d’une vivacité peu ordinaire à Marc-Aurèle, et qui atteste combien son cœur était touché de ce qu’on peut appeler la révolte de l’homme contre Dieu.
  4. Condamnée à des souffrances qui ne doivent jamais cesser. On ne peut nier la souffrance ; mais il faut la prendre pour une épreuve, et non pour un mal proprement dit. Le mal est surtout, si ce n’est exclusivement, le mal moral, et il dépend de nous de le supprimer. Sénèque a dit : « Vois avec quelle injustice sont appréciés les présents des Dieux même par ceux qui font profession de sagesse… Ils querellent les Dieux d’avoir négligé de nous donner une santé inaltérable,