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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

ments, et des révolutions de tout genre que nous pouvons observer.

II

Ce serait le privilège d’un mérite surhumain que de pouvoir sortir de la société des hommes sans avoir jamais su ce que c’est que le mensonge, la fausseté sous aucune de ses formes, la mollesse et l’orgueil. Déjà, c’est avoir fait une heureuse traversée[1] que de s’en aller de ce monde avec le profond dégoût de ces vices[2]. Ou bien, par hasard, préférerais-tu t’enfoncer dans le mal ? Et l’expérience en est-elle encore à t’apprendre à fuir cette peste ? La corruption de l’âme, qui se ruine par le vice, est une peste cent fois plus fatale que celle qui infecte et vicie l’air que tu respires. Car l’une est la peste des animaux en tant qu’ils sont de simples animaux, tandis que l’autre est la peste des hommes en tant qu’ils sont hommes[3].

  1. Avoir fait une heureuse traversée. Le texte a une tournure de phrase qui était une expression technique de marine.
  2. Avec le profond dégoût de ces vices. C’est un état d’âme que bien peu d’hommes encore ont en quittant la vie. On a été vicieux presque sans le savoir, par une pente naturelle ; et il faut, même à la fin de la vie, une grande force d’âme pour se juger et avoir horreur du mal qu’on a fait, parce qu’alors on le comprend.
  3. En tant qu’ils sont hommes. C’est-à-dire, des êtres doués de raison et faits pour pratiquer le bien.