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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

XXXVI

Prends garde de te troubler en essayant d’embrasser d’un coup d’œil l’ensemble de ta vie[1] ; ne t’agite pas à la pensée de tous les événements qui, selon toute probabilité, peuvent t’assaillir encore. Mais contente-toi dans chaque occurrence de t’occuper uniquement du présent[2], et demande-toi : « Est-ce qu’il y a dans ce qui m’arrive quelque chose de vraiment intolérable[3], et que je ne puisse endurer ? » Tu rougiras alors à tes propres yeux de t’avouer ta faiblesse[4]. Puis souviens-toi bien encore que ce n’est ni l’avenir ni le passé qui te presse, mais que c’est toujours le présent. Or le présent se réduit à bien peu[5] de

  1. L’ensemble de ta vie. Ceci semble se rapporter plus particulièrement, au passé, de même que ce qui suit se rapporte davantage à l’avenir. La suite du paragraphe précise ce sens plus que ne le font les deux premières phrases.
  2. T’occuper uniquement du présent. Il ne faudrait pas appliquer ce conseil à la rigueur, car ce serait renoncer à la fois et aux leçons de l’expérience que donne le passé, et aux prévisions que la prudence de l’homme essaie d’arracher à l’avenir.
  3. De vraiment intolérable. Voir plus haut, liv. VII, § 64.
  4. De t’avouer ta faiblesse. Le texte est moins précis ; mais le sens ne peut être douteux.
  5. Le présent se réduit à bien peu de chose. Ceci n’est pas toujours vrai ; mais ce qui l’est, c’est que l’homme, fortifié par la sagesse, peut toujours résister et triompher moralement, si d’ailleurs son corps succombe à des causes irrésistibles et toutes physiques.