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LIVRE VIII, § XXVIII.

XXVIII

Ou la douleur est un mal pour le corps, et dès lors c’est à lui de le dire[1] ; ou elle est un mal pour l’âme. Mais l’âme peut toujours conserver son calme parfait et son absolue sérénité[2], en n’admettant pas que la douleur soit un mal. C’est qu’en effet le jugement, l’émotion, le désir et l’aversion sont toujours au-dedans de nous ; et il n’y a pas de mal qui soit assez puissant[3] pour pénétrer jusque-là.

  1. C’est à lui de le dire. Voir plus haut, livre VII, § 14, et liv. IV, § 7. Au premier coup d’œil, cette séparation si absolue de l’âme isolée de son enveloppe corporelle a quelque chose qui étonne. Rien n’est plus réel cependant, et, lorsque l’âme s’est habituée à rentrer en elle-même, comme le lui conseille le Stoïcisme, elle se comprend si bien dans cet isolement que c’est à peine si elle sait encore qu’elle est jointe à un autre principe. Platon déjà avait donné ces conseils, que l’école d’Alexandrie devait pousser jusqu’à l’extrême, en aboutissant à l’extase. L’école stoïcienne a été plus modérée que les ascètes de l’hellénisme ou que les ascètes chrétiens.
  2. Son calme parfait et son absolue sérénité. Pour arriver à cet état d’ataraxie, il faut une grande énergie naturelle, et une longue et persévérante pratique. Ce n’est pas l’insensibilité que le Stoïcisme recommande, comme on le lui a reproché si souvent ; c’est la paix intérieure, qui permet à la raison d’exercer tout son empire.
  3. Pas de mal qui soit assez puissant. Lorsque l’âme est absolument maîtresse d’elle-même.