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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

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Les Dieux, qui sont immortels[1], ne s’irritent nullement d’avoir à supporter durant leur éternité les fautes toujours renouvelées d’un si grand nombre de méchants incorrigibles. Loin de là, les Dieux ont même pour ces pervers une bonté qui prend mille formes. Et toi, qui dans un moment vas cesser de vivre, tu te révoltes, comme si tu n’étais pas, toi aussi, un de ces méchants[2] !

    Aurèle, mais qu’il n’affirme pas aussi précisément. Sur ce point essentiel, Marc-Aurèle est moins avancé que Sénèque, qui n’a jamais hésité à affirmer l’immortalité de l’âme, avec toutes les facultés dont elle jouit ici-bas. — Bossuet a dit dans son superbe langage : « La vertu tient cela de l’éternité qu’elle trouve tout son être en un point. Ainsi un jour lui suffit, parce que son étendue est de s’élever tout entière à Dieu et non de se dilater par parties. Celui-là donc est le vrai sage qui trouve toute sa vie en un seul jour, de sorte qu’il ne faut pas se plaindre que la vie est courte, parce que c’est le propre d’un grand ouvrier de renfermer le tout dans un petit espace ; et quiconque vit de la sorte, quoique son âge soit imparfait, sa vie ne laisse pas d’être parfaite. » Réflexions chrétiennes et morales, § 16, De la Vertu.

  1. Les Dieux, qui sont immortels. C’est le patiens quia æternus, qu’on peut appliquer à l’indulgence des Dieux ; mais la pensée n’en est pas moins juste ; car, si l’homme ne peut s’appuyer sur son éternité, il peut du moins considérer sa faiblesse, qui le rend capable des fautes qu’il reproche si durement à ses semblables.
  2. Toi aussi un de ces méchants. Puissant motif d’indulgence et de patience. — Il faut rapprocher de ces idées de Marc-Aurèle le sermon de Bossuet, pour le cinquième dimanche après l’Épiphanie, sur le Mélange des bons avec les méchants.