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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

III

Les vains raffinements du luxe, les pièces jouées au théâtre, ces immenses assemblées, ces troupeaux[1], ces combats de gladiateurs, tout cela est comme un os jeté aux chiens, comme un morceau de pain lancé aux poissons du vivier, comme les labeurs des fourmis s’épuisant à traîner leur fardeau, comme les courses extravagantes des souris effarées, comme des marionnettes qu’un fil fait mouvoir. Contre toutes ces séductions[2], il faut savoir conserver son cœur parfaitement calme, et ne pas montrer non plus un mépris trop altier. Mais du moins, tu peux en tirer cette conséquence que, tant vaut l’homme[3],

  1. Ces immenses assemblées, ces troupeaux. La plupart des traducteurs ont compris ce passage différemment. Selon eux, il s’agit ici de grands troupeaux de bêtes domestiques, de moutons et de bœufs. Le contexte ne se prête pas à ce sens ; et je préfère entendre le mot de Troupeaux avec la même nuance d’ironie que nous y attachons, quand nous parlons de ces troupeaux d’hommes assemblés pour quelque fête publique, pièces de théâtre, combats de gladiateurs. Il me semble que la pensée ainsi comprise a plus d’unité et de teneur.
  2. Contre toutes ces séductions. Le cœur du philosophe en a de plus dangereuses à éviter ; mais celles-là sont peut-être les plus ordinaires et les plus nombreuses. Celles du luxe surtout et de la mollesse sont les plus redoutables.
  3. Tant vaut l’homme. L’observation est très-juste ; et l’on peut juger de quelqu’un par les amusements et les distractions qu’il se donne.