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LIVRE VI, § XXXII.

XXXI

Dissipe ton ivresse, rappelle ta raison ; et quand tu auras secoué ton sommeil et que tu seras convaincu que c’étaient des rêves qui t’abusaient[1], alors considère la réalité que tu vois, pleinement éveillé, ainsi que tu regardais naguère les fausses apparences qui te trompaient.

XXXII

Je suis composé d’un corps et d’une âme[2]. Pour le corps, toutes choses sont indistinctes et sans différence entre elles, parce que le corps n’a pas le pouvoir de rien discerner[3]. Pour la pensée, il

  1. Des rêves qui t’abusaient. Ce sont les illusions des passions et des intérêts, qui nous font juger les choses autrement qu’elles ne sont. Mais il faut toujours, même à l’âme la plus sincère, beaucoup de temps pour dissiper les fausses apparences que la vie nous offre à ses débuts. Seulement, on se mûrit plus vite quand on a été à l’école où Marc-Aurèle s’est formé.
  2. Je suis composé d’un corps et d’une âme. Depuis Socrate et Platon, la distinction était faite ; et le Stoïcisme n’a eu qu’à la recueillir. Le grand point pour chacun de nous, c’est de voir quelles sont les conséquences pratiques que cette distinction doit nous imposer dans toute la conduite de la vie. La raison doit l’emporter sans cesse sur toutes les inspirations de l’instinct et de la bête. Mais cette domination absolue de la raison est bien rare.
  3. N’a pas le pouvoir de rien discerner. Voilà la partie essentielle de tout ce paragraphe, qui n’a pas été toujours bien compris. Le corps sent, mais ne discerne rien ; il n’y