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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

l’âme prend la couleur et la teinte des pensées qu’elle entretient. Applique-toi donc à la teindre dans de constantes réflexions telles que les suivantes : « En quelque endroit qu’on vive, on y peut toujours vivre bien ; si c’est à la cour que l’on vit, on peut vivre bien et se bien conduire même dans une cour. » Dis-toi encore que tout être se porte naturellement à la chose pour laquelle son organisation a été faite ; et que la chose vers laquelle il se porte de cette façon, est précisément son but et sa fin. Or, là où est la fin de l’être, là aussi est dans tous les cas son intérêt et son bien. Ainsi donc, la société est le bien propre de l’être doué de raison[1] ; et il a été mille fois démontré que c’est pour la société que nous sommes faits. Mais n’est-il pas également de

    pensées mauvaises qui la flétrissent et la diminuent, pour y entretenir celles qui la grandissent et la purifient. J’ai déjà fait remarquer que Marc-Aurèle avait, parmi les vertus de sa mère, signalé sa constante attention à toujours écarter de son cœur toutes les pensées du mal, liv. I, § 3.

  1. La société est le bien propre de l’être doué de raison. C’est la préoccupation la plus ordinaire de Marc-Aurèle, et le conseil qu’il donne le plus habituellement à l’homme : Rendre toujours à la société tout ce qu’on lui doit. Ce précepte est encore plus vrai de nos jours, parce que les bienfaits que l’homme reçoit de la société sont de plus en plus grands, à mesure qu’elle se perfectionne. Voir plus haut, liv. IV, § 34, et liv. V, § 1. Aristote, le premier, avait démontré que l’homme est un être essentiellement sociable, Politique, liv. I, ch. i, § 9, de ma traduction.