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LIVRE V, § X.

Regarde ensuite au caractère des gens avec qui tu vis[1]. Le plus bienveillant des hommes a grand’peine à les supporter ; que dis-je ? il n’est pas un d’eux qui n’ait peine à se supporter lui-même. Dans ces profondes ténèbres, dans ces ordures, dans ce torrent de la substance et du temps, du mouvement et de toutes les choses que le mouvement entraîne, je ne puis apercevoir quoi que ce soit qui doive mériter notre estime ou même mériter nos soins. Bien loin de là, il n’y a, pour se fortifier le cœur, qu’à attendre de sang-froid la dissolution naturelle de son être, à ne pas s’impatienter si elle tarde, et à puiser la paix dans ces deux seuls principes : le premier, qui est de se dire : « Il ne m’arrivera rien qui ne soit conforme à la nature universelle des choses » ; le second : « Il m’est toujours possible de ne rien faire qui puisse blesser mon Dieu[2], et le génie que je porte en

    Marc-Aurèle pouvait se rappeler les excès de tout genre auxquels s’étaient livrés les empereurs qui l’avaient précédé, sans parler de tant d’autres exemples presque aussi déplorables, que lui offrait l’histoire. Voir plus haut, liv. II, § 11.

  1. Des gens avec qui tu vis. On peut voir plus haut le début du liv. III, § 1.
  2. Mon Dieu. C’est l’expression même du texte ; et ce seul passage prouverait que Marc-Aurèle n’a pas toujours confondu Dieu et le monde, sur les pas du stoïcisme.