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LIVRE IV, § XLIX.

l’écume de l’onde tourbillonne à ses pieds. — « Ah ! quel malheur pour moi, dis-tu, que cet accident me soit arrivé ! — Tu te trompes ; et il faut dire : « Je suis bien heureux, malgré ce qui m’arrive, de rester à l’abri de tout chagrin[1], ne me sentant, ni blessé par le présent, ni anxieux de l’avenir. » Cet accident en effet pouvait arriver à tout le monde ; mais tout le monde n’aurait pas reçu le coup avec la même impassibilité que toi. Pourquoi donc tel événement passe-t-il pour un malheur plutôt que tel autre pour un bonheur ? Mais peux-tu réellement appeler un malheur pour l’homme ce qui ne fait point déchoir en quoi que ce soit la nature de l’homme ? Or, crois-tu qu’il y ait une vraie déchéance de la nature humaine, là où il n’est rien qui soit contraire au vœu de cette nature ? Et quoi ! tu connais précisément ce qu’est ce

    Homère, Iliade, chant XV, vers 620 et 621.

  1. À l’abri de tout chagrin. C’est la fermeté inébranlable du sage selon le stoïcisme, et sa constante tranquillité d’âme, même au milieu des événements que le vulgaire regarde comme d’effroyables malheurs. C’est la résignation chrétienne, jointe au plus réel courage. Sous les empereurs despotiques qui avaient précédé Marc-Aurèle, le stoïcisme avait préparé au martyre bien des âmes qui ne fléchirent pas. Horace avait déjà célébré et recommandé ces vertus, qui élèvent l’homme au-dessus de lui-même : Justum ac tenacem propositi virum. Le stoïcisme n’a jamais rien dit de mieux ; et l’exemple de Thraséas, avec tant d’autres, a montré