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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

XXXIX

Ton mal ne peut jamais être dans l’âme d’un autre, pas plus qu’il n’est dans les variations ou le changement de ton enveloppe matérielle[1]. Où peut donc être réellement ton mal ? Là où est aussi pour toi la faculté qui juge des biens et des maux. Que cette faculté s’abstienne de juger ; et alors tout est bien. Que ton pauvre corps, qui est son voisin le plus proche, soit mutilé, brûlé, couvert d’ulcères et de plaies qui le dévorent, la partie qui, en toi, juge de tout cela doit garder néanmoins la paix la plus profonde, c’est-à-dire qu’elle doit toujours penser qu’il n’y a ni mal ni bien dans tous ces accidents, qui peuvent frapper également les méchants et les bons ; car il faut se dire que

  1. Le changement de ton enveloppe matérielle. C’est-à-dire de ton corps. L’expression grecque n’est pas d’ailleurs assez précise pour qu’on ne puisse la comprendre aussi en un autre sens : « Le changement du monde qui t’entoure et t’enveloppe. » J’ai cru devoir préférer le premier sens, parce que la même pensée se retrouve à peu près liv. X, § 1, et que, dans ce nouveau passage, l’âme est directement opposée au corps. Il est probable qu’ici également c’est cette opposition que Marc-Aurèle veut signaler. La maxime est d’ailleurs excellente ; et l’âme de l’homme n’est jamais plus grande que quand elle sait se distinguer profondément du corps auquel elle est jointe. Mais combien, même parmi les philosophes et les ascètes les plus austères, peuvent arriver à ce renoncement !