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LIVRE IV, § III.

peux toujours faire retraite[1] dans cet humble domaine qui n’appartient qu’à toi. Avant tout, garde-toi de t’agiter, de te raidir ; conserve ta liberté, et envisage les choses comme doit le faire un cœur énergique, un homme, un citoyen, un être destiné à mourir. Puis, entre les maximes où la réflexion peut s’arrêter le plus habituellement, place ces deux-ci : la première, que les choses ne touchent pas directement notre âme[2], puisqu’elles sont en dehors d’elle, sans qu’elle puisse les modifier, et que nos troubles ne viennent que de l’idée tout intérieure que nous nous en faisons ; la seconde, que toutes ces choses que tu vois vont changer dans un instant[3], et que

    Marc-Aurèle post mortem. Quoi qu’en dise ici le philosophe, on peut croire que son âme stoïque aurait été touchée de cet hommage posthume, que lui rendait la reconnaissance d’un grand peuple.

  1. Que tu peux toujours faire retraite. C’est profondément vrai ; mais il faut une longue habitude et un ascétisme énergique pour arriver à se posséder si pleinement soi-même.
  2. Les choses ne touchent pas directement notre âme. C’est la grande distinction d’Épictète entre les choses qui dépendent de nous, et celles qui n’en dépendent pas.
  3. Vont changer dans un instant. C’est là ce qui fait que dans la vie il ne faut jamais se décourager en face des revers, pas plus qu’il ne faut avoir une confiance aveugle à des succès passagers. Comme tout change, en effet, le malheur est tout près de finir ; et la prospérité n’est pas moins éphémère. Mais combien d’âmes sont assez vigoureuses pour être si sensées ! Sénèque a dit : « De là ces voyages sans suite, ces courses errantes sur les rivages, cette mobilité qui essaie tantôt de la mer, tantôt de la terre, tou-