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LIVRE IV, § III.

où tu retournes. À qui, je te le demande, pourrais-tu en vouloir ? Est-ce à la perversité des humains ? Mais si tu rappelles à ta mémoire cet axiome que tous les êtres doués de raison sont faits les uns pour les autres, que se supporter réciproquement[1] est une partie de la justice, et que tant de gens qui se sont détestés, soupçonnés, haïs, querellés, sont étendus dans la poussière et ne sont plus que cendres, tu t’apaiseras peut-être assez aisément. Ou bien, par hasard, est-ce que tu en veux au sort qui t’a été réparti dans l’ordre universel ? Alors considère de nouveau cette alternative : De deux choses l’une, ou il y a une Providence[2], ou il n’y a que des atomes. Pense aussi à cette vieille démonstration d’où il ressort que le monde n’est après tout qu’une vaste cité. Sont-ce les choses corporelles qui ont encore prise sur toi ? Dis-toi alors, à part toi, que la pensée, une fois qu’elle a pu se saisir elle-même et comprendre son essence propre, ne se confond plus avec les mou-

    morales sont les fortes maximes qui doivent régler la vie et gouverner l’homme.

  1. Se supporter réciproquement. Maxime aussi pratique que profonde, qui est faite pour adoucir et faciliter la société des hommes, mais qui n’est à l’usage que des cœurs les plus magnanimes et les plus désintéressés.
  2. Ou il y a une Providence. Voir plus haut, liv. II, § 11, et liv. III, § 3,