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tôt un état d’âme subconscient de Jack London lui-même, qui devenait ainsi le héros de toutes ses nouvelles. Cet hymne constant à l’homme fort trouvait un écho puissant dans toute la jeunesse nord-américaine, et lui avait créé, à la grande joie de son éditeur, un cercle très large d’admirateurs et de lecteurs. Or, tant que Jack London pût puiser dans le souvenir de ses aventures personnelles, ou dans les réminiscences de récits entendus au cours de ses pérégrinations, il écrivit sans interruption, utilisant à l’extrême ses sources. Au moment où Hearst l’envoya au Japon comme correspondant de guerre, il était arrivé pour ainsi dire à la fin de son stock.


III


Une grande transformation était survenue sur les côtes du Pacifique en ces années d’après 1900. L’idylle californienne des chercheurs d’aventures et d’or avait pris fin. De ville commerciale, San Francisco devenait un centre industriel et un port militaire de premier ordre. Tout autour de l’ancienne « Yerba Buena »[1] s’étaient élevés d’immenses chantiers navals, les quelques canonnières qui croisaient du nord au sud pour faire la chasse aux contrebandiers avaient été remplacées par de monstrueux dreadnoughts. L’impérialisme américain avait montré la longueur de ses tentacules en s’emparant des îles Hawaï d’abord, des Philippines ensuite.

Sur la Riviera américaine, privée d’industrie, vivait une bourgeoisie marchande prospère et la plus grande partie des ouvriers étaient des artisans qualifiés, dont les salaires, en comparaison à ceux des autres pays, étaient très élevés. La lutte de classe y était moins aiguë qu’ailleurs et le socialisme naissant n’était là qu’un lointain écho de l’Est industriel américain. Ce qui était, par contre, très marqué en Californie, c’était une forte haine de races et une lutte opiniâtre et sauvage contre les « jaunes », contre les Japonais, et surtout contre les Chinois. Ces derniers, en effet, formaient une puissante colonie dans laquelle prédominait la

  1. Bonne herbe, premier nom de San-Francisco que lui donnèrent les colons espagnols.