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son père. La mère envoya de l’argent, mais elle joignit à son envoi un flacon de chloroforme en lui recommandant de le boire pour échapper au déshonneur.

» Si tu es trop lâche pour mourir, continuait la lettre, j’espère au moins que tu étrangleras ce bâtard, quand il viendra au monde ».

Par des indiscrétions sans doute, quelques amis de la famille apprirent la catastrophe ; ce fut un tollé. On comprenait qu’une femme de chambre, une ouvrière se laisse faire un enfant, mais une fille du monde !

Elle prit une chambre dans une pension de famille et cessa de voir ses amis. Elle avait une certaine indépendance de caractère et disait qu’elle ne voulait pas de la pitié des autres. Seule sa sœur venait de temps en temps la voir ; lorsque la grossesse devint apparente, elle partit pour l’Espagne afin d’y faire ses couches dans le secret.

Je la revis un an après avec son enfant. Elle me demanda d’être témoin à la mairie pour la reconnaissance. Il y avait des formalités compliquées, car l’enfant était né à l’étranger. Elle l’avait appelé Fidélio, et comme l’employé de mairie trouvait le nom difficile, elle lui donna deux francs qu’il accepta. Ce fut ma première désillusion à l’endroit de l’incorruptibilité des fonctionnaires.

La colère de la mère était tombée ; elle permit d’abord quelques visites en cachette. Dans la suite les choses allèrent mieux encore ; la coupable se réinstalla dans l’appartement de Passy avec son enfant ; je perdis de vue la famille.

Quel ne fut pas mon étonnement de voir dernièrement venir à moi, dans un groupement bolchevik un jeune homme qui se nomma : c’était Fidélio.

Sa mère était morte et sa tante s’était suicidée de désespoir. Seule avait survécu la grand’mère âgée de plus de quatre-vingts ans.