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que roman-feuilleton, Elle ne détruisait que les chats malades, pour obéir à une doctrine qu’elle s’était formée et d’après laquelle la mort était préférable à la douleur.

Elle en vint à rechercher tous les chats blessés et souffrants, dans une sorte de volupté morbide de répandre la mort comme un bienfait. Elle détruisait les animaux sans les faire souffrir, par le chloroforme. Les chats galeux, ceux qui avaient des tumeurs, les vieux perclus de rhumatismes, ceux dont des gamins cruels avaient crevé les yeux. Sans doute, on devait l’informer, car elle était là tout de suite pour relever le chat écrasé, celui qui s’était brisé les reins en tombant de haut par une fenêtre. Elle le saisissait, le fourrait dans son tablier, et elle s’en allait, courant de ses jambes maigres, parmi les ruelles aux gros pavés carrés. » Pas de souffrances, pas de souffrances, marmonnait-elle entre ses dents. Tu dormiras, mon pauvre minet, et puis ce sera fini, tu seras heureux pour toujours ».

Les voisins avaient fini par la questionner, alors, elle avait exposé sa philosophie : Pourquoi souffrir, puisqu’il faut arriver à mourir. Laisserait-elle un pauvre chat agoniser pendant des jours, les reins brisés par une voiture. La mort ne valait-elle pas mieux, surtout la mort qu’elle donnait, sans souffrance, par le chloroforme.

La curiosité avec laquelle on l’écoutait l’avait rendue plus sociable ; elle racontait maintenant ses exécutions avec force détails, y prenant une sorte de plaisir amer. On lui apportait les chats malades dont on voulait se débarrasser sans avoir à payer un vétérinaire ; elle n’était plus la « vieille folle » ; on la surnommait maintenant la « Mort aux Chats ».

L’hiver dernier, le charbon manqua, la « Mort aux Chats » prit froid dans son logement : elle gagna une congestion pulmonaire. La concierge, ne la voyant pas, avait fini par monter ; on alla cher-