Page:Pelletier - Oeuvres diverses.pdf/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministère qui arrêterait pour longtemps la marche du socialisme.

Parmi la foule des solliciteurs qui encombrait ses antichambres, on pouvait voir maints anciens camarades, maints militants même que leur carte rouge n’empêchait pas de venir faire la cour à son succès.

Lui reprocher sa trahison, on s’en gardait bien ; il était la force, donc il était la vertu. On l’injuriait bien pour la galerie dans les réunions publiques, mais en petit comité on parlait de lui comme d’un bon garçon, il avait rendu tant de services.

C’est que pouvant se venger, il n’en faisait rien ; l’ambition satisfaite avait pansé ses anciennes plaies et elles étaient guéries.

Certes, il était loin d’avoir réalisé sa vie ; le luxe, les honneurs, le respect des autres, il payait tout cela de ses convictions les plus chères. Si autrefois il avait, aux heures d’enthousiasme, rêvé au pouvoir, c’était pour réaliser ses idées ; maintenant il avait le pouvoir, mais il ne pouvait le garder qu’en se mentant à lui-même. Aussi n’y prenait-il aucun plaisir ; les figurations officielles lui étaient des corvées assommantes ; il s’ennuyait au ministère comme autrefois dans son métier d’ingénieur.

Il se maintenait cependant, car malgré tout il trouvait au pouvoir des satisfactions d’amour-propre et comme il avait conservé un fond d’idéalisme, il s’efforçait de mettre un peu de bien dans tout le mal qu’il faisait.