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l’accusa d’ambition personnelle, voire de bas arrivisme. La presse lui fut fermée ; dans les réunions, on étouffa sa parole.

Il essaya de se tourner vers le peuple, mais le peuple se détourna de lui. N’était-il pas un intellectuel aux mains blanches, c’est-à-dire un bourgeois ? En vain essayait-il d’établir son origine prolétarienne, d’exposer toutes les peines que lui avait coûtées la culture intellectuelle qu’il possédait : les ouvriers s’en allaient en ricanant.

C’est que Jacques, avec son honnêteté toute pure, représentait la faiblesse. Certes, l’ouvrier voulait bien la révolution, mais il ne faisait pas fi des menus avantages que seul un parlementaire peut donner. Une vieille mère à faire admettre dans un hospice, la gratuité de la cantine scolaire pour un enfant, une place stable d’ouvrier municipal pour lui-même. Ces menues faveurs évidemment n’allaient pas à tout le monde ; mais ceux qui les obtenaient devenaient les clients du parlementaire, toujours comme dans la grande société. Élus et clientèle électorale formaient un bloc contre lequel l’idéalisme de Jacques venait se briser.

La guerre de 1914 vit une faillite générale des consciences. Les propagandistes du pacifisme et de l’anti-militarisme se firent ultra-patriotes et la masse qui les avait suivis les suivit encore, jusqu’à l’abattoir !

Jacques avait trente-cinq ans. Sa situation matérielle n’était pas mauvaise, mais il était un raté de la politique.

Il en restait navré, car il s’y était donné tout entier. L’intérêt intellectuel qui l’avait soutenu dans ses études d’ingénieur avait disparu, ce qui était alors de l’intelligence était devenu, par la répétition continuelle, instinct et routine. Il accomplissait avec ponctualité les devoirs de la profession qui le faisait vivre, mais son âme en était absente.