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Sou à sou, l’adolescent avait économisé sur ce qu’on lui laissait de son salaire d’apprenti et, la somme enfin amassée, il était allé, le cœur battant, se faire inscrire à l’école.

Sa chambre, il l’avait prise naturellement au quartier latin, un sixième étage de la rue Claude Bernard. Il se sentait déjà comme affranchi de l’esclavage manuel, du fait seul d’habiter ce quartier universitaire. Sa journée d’ouvrier terminée, au lieu d’aller chez le marchand de vins, au sport ou au cinéma, il rentrait chez lui comme une jeune fille et se mettait à piocher ses cours.

Cela n’allait pas tout seul. Les corrections, faites machinalement par un personnel mal payé, étaient, la plupart du temps, incompréhensibles. L’élève n’était qu’un numéro et personne ne s’intéressait sérieusement à ses progrès ; mais Jacques n’était pas de ceux à qui les obstacles font perdre courage.

À notre époque où l’instruction, sans être donnée comme il le faudrait, est relativement facile à acquérir, les auto-didactes ne sont pas rares. Mais beaucoup, dans leur désir ardent de s’élever dans la société, se donnent corps et âme à la bourgeoisie qui leur entr’ouvre ses portes.

Tel n’était pas le cas de Jacques. Esprit hors de pair, il avait déjà, bien que jeune, une culture assez étendue. Il n’ignorait pas le socialisme et il s’était promis de travailler lui aussi à la destruction d’une société injustement divisée en castes ploutocratiques.

Les réunions publiques étaient son unique distraction, cependant il s’y tenait effacé et ne prenait jamais la parole ; il voulait, avant toute chose, conquérir son diplôme d’ingénieur, après quoi il se réservait de consacrer à l’affranchissement de ses frères les travailleurs une activité plus effective.

Reçu dans un très bon rang, il obtint de suite un emploi dans l’industrie. Son rêve était réalisé. Il avait remplacé sa mansarde d’ouvrier-étudiant par