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pas même capables de pécher, et que je nommerai les intellectuels ou les intellectualistes dans l’ordre du péché ; de la grâce ; du salut.

Je suis convaincu qu’il en est de même dans tous les ordres et qu’il y a très peu d’êtres qui soient bons pour le bonheur comme il y a très peu d’êtres qui soient bons pour le malheur. Et en dehors il y a l’immense tourbe des êtres qui ensemble et du même mouvement, de la même incapacité, de la même stérilité, de la même infécondité, ne sont bons ni pour le bonheur ni pour le malheur. Et que je nommerai les intellectuels dans l’ordre du bonheur.

Bien peu d’êtres sont visés, pour qui sait sa chrétienté. Et au dehors il y a cet immense royaume de disgrâce, qui consiste à ne pas même savoir de quoi on parle.

Il en est ainsi de la passion. L’amour est plus rare que le génie même. Il est aussi rare que la sainteté. Et l’amitié est plus rare que l’amour. Dire que pour la passion tout le monde est bon est aussi faux et je dirai aussi sot et je dirai aussi scolaire et aussi vite dit que de dire : Pour la statuaire tout le monde est bon, ou : Pour l’analyse mathématique tout le monde est bon. Il y a des intellectuels partout et il y a des intellectuels de tout. C’est-à-dire : Il y a une immense tourbe d’hommes qui sentent par sentiments tout faits, dans la même proportion qu’il y a une immense tourbe d’hommes qui pensent par idées toutes faites, et dans la même proportion il y a une immense tourbe d’hommes qui veulent par volontés toutes faites, dans la même proportion qu’il y a une immense tourbe de « chrétiens » qui répètent machinalement les paroles de la prière.