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pour dire le mot un regard vieilli. Corneille vieilli qui défera peut-être le plus beau vers, enfin le vers cardinal de toute l’articulation de Polyeucte. Non plus un regard d’auteur, premier ; mais un regard de spectateur et de public, deuxième ; le premier spectateur, le premier des spectateurs et du public étant irrécusablement deuxième. Son regard n’était plus un trait de crayon fin taillé, tracé fin, posé, un trait de plume sec sur un papier neuf. C’était un trait non plus posé, non plus tracé, mais appuyé, un regard hébété, émoussé, usé, mal taillé, non plus taillé même, et impossible à retailler pour cette fois et pour toujours au moins pour cet objet de regard ; un trait fatigué, gommé, repris, effacé, recommencé ; non plus une pointe sèche, une ligne sèche, mais un trait mouillé, une ligne délavée ; un trait fatigué sur du papier fatigué ; le champ de son regard était comme ce papier; quand la surface du papier, le dessus, la couche du dessus, la superficie, la couche superficielle est évidemment abîmée, quand la fleur du papier enfin est irréparablement écrasée, et en même temps entamée, ensemble enlevée, irrévocablement maltraitée, quand de la gomme et du crayon elle a reçu visiblement, précisément à force d’effacer, une injure elle-même ineffaçable, quand la page est toute faite de reprises, de regrets et de remords, quand derrière chaque trait censément définitif, mais qui justement pour cela n’est que final et n’est pas, ne sera jamais définitif, on découvre tant d’essais, tant d’inutiles et injurieuses tentatives, tant de vanités, tant de