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l’homme de la balustrade, le premier homme du public à passer, à défiler devant son œuvre. Cette main, cette même main qui a fait l’œuvre, c’est elle qui est devenue la main sur la balustrade. Et lui il est devenu le premier homme du public. Il ouvre le défilé du public. Triste inauguration. Singulière, irrévocable inauguration. C’est lui l’appariteur de cet enterrement qui (il faut l’espérer) ne finira point. Car l’espoir n’est point de n’être pas enterré. L’espoir, un entre mille, un entre des millions, est que l’enterrement dure longtemps. Qui sait. S’il pouvait durer toujours. L’espoir est que l’enterrement ne s’achève point en une inhumation. Cette œuvre qu’il a faite en un moment unique, cette œuvre qu’il a quasi créée, il y portera le premier marteau. Puisque la connaissant avant tout le monde il a le premier de tout le monde, dans le secret de sa propre mémoire, porté sur elle un regard de spectateur.

L’auteur avait quitté la place ; il avait laissé son œuvre parce que finie et comme faite et parfaite ; autant qu’humainement. Il n’avait plus le regard natif, le regard de naissance et de commencement, le regard de tête de chapitre, le premier regard, le seul vrai ; plus que vrai, réel; enfin le regard de la révélation, première. Il commençait de voir d’un regard habitué : déchéance d’art qui ne se remonte point, déchéance irrévocable de la création même de l’œuvre. Son regard déjà n’était plus un regard neuf, un regard inexpert, un regard nouveau, un regard natif, un regard né, un regard venant de naître. C’était un regard habitué,