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C’est très évident pour un peuple, dit-elle. Il y a des temps, il y a des plaines où il ne se passe rien. Et soudain monte un point de crise. Des questions qui étaient ingrates, où l’on travaillait sans résultat des années et des années et depuis des années, sans rien gagner, sans avancer de rien, qui paraissaient insolubles et qui en effet étaient insolubles on ne sait pourquoi tout d’un coup n’existent plus. Voyez dans votre mémoire. Et voyez s’il n’y a point des périodes et des époques, des plaines et des points de crise. Pendant des années et des années, pendant dix, quinze, vingt ans, pendant trente ans vous vous acharnez à un certain problème et vous ne pouvez apporter aucune solution et vous vous acharnez à un certain mal et vous ne pouvez apporter aucun remède. Et tout un peuple s’acharne. Et des générations entières s’acharnent. Et tout d’un coup on tourne le dos. Et le monde entier a changé de face. Ni les mêmes problèmes ne se posent plus, (il s’en posera assez d’autres), ni les mêmes difficultés ne se présentent, ni les mêmes maladies ne sont plus considérables. Il n’y a rien eu. Et tout est autre. Il n’y a rien eu. Et tout est nouveau. Il n’y a rien eu. Et tout l’ancien n’existe plus et tout l’ancien est devenu étranger.

Et on ne sait plus de quoi on parlait, (dit-elle). Et on admire qu’on y ait pu mettre tant de feu. C’est-à-dire au fond tant de jeunesse. Et cela même, (dit-elle), est la marque d’un vieillissement. Comme il y a une durée d’un peuple et une durée du monde, ainsi et par