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ŒUVRES POSTHUMES ment lui manifester que je le regrettais sans la blesser encore davantage. Elle était à ce point où la compas- sion, où l'intérêt même est ce qui blesse le plus. Je ne savais quelle contenance garder.

— Vous l'avez dit, mon pauvre ami, dit-elle, avec ce système des fiches mes histoires ne font jamais que commencer.

Vous pouvez les chercher dans le dictionnaire, dit- elle. N'ayez pas honte. Oui, oui, dans le petit Larousse. Elles y sont. Euterpe a pu achever un nombre incalcu- lable de chansons. Thalie achève une comédie quand elle veut; et Melpomène une tragédie. Qui empêche Terpsichore d'achever un menuet, Érato une élégie. Polymnie, une ode. Calliope, (vous savez, Galliope étoilée), un discours ou une épopée. Nous ne sommes que deux, dit-elle, qui n'aboutissons jamais. Et c'est Uranie parce qu'elle fait Yhistoire du ciel, et c'est moi Clio parce que je îaisV histoire de la terre.

Avec le sens qu'ils donnent aujourd'hui à ce mot his- toire, avec leur méthode et leur système de fiches ne parlons point d'aboutir, ne parlons point d'achever, nous n'arrivons pas même à commencer, nous n'arri- vons jamais à commencer, Uranie et moi, Uranie dans la mesure où elle fait l'histoire du monde, et moi parce que je fais l'histoire de l'homme.

Vous l'avez dit mon petit ami : cette histoire ne fait que de commencer. Eh bien toutes mes histoires sont comme ça. Toutes mes histoires, c'est la même histoire. Toutes mes histoires, toute mon histoire ne fait jamais

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