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génération appelante se voit seule comme un homme sous une ligne de feu. Elle se voit seule sous le regard innombrable, sous la considération, sous le jugement d’une indéfinité indéfiniment croissante de générations ultérieures. C’est le contraire. C’est chacune des générations juges, des générations ultérieures qui est une en face, en présence de toutes les générations passées. Ce n’est pas un homme qui est le point de mire d’une ligne de feu indéfiniment croissante. C’est un homme successif qui s’épuise à tirer sur une ligne de mires indéfiniment accrue. Ce n’est point un faisceau lumineux, à l’envers, un cône renversé, qui partant toujours de la même base, (mais seulement toujours indéfiniment accrue), éclairerait toujours le même point, tomberait toujours sur le même point indéfiniment mieux éclairé, qui serait la génération appelante. Mais c’est un tout autre jeu de mémoire. C’est un jeu temporel contraire, inverse, et il faut dire renversé. C’est une mécanisme optique tout contraire, inverse, et il faut dire de renversement, puisqu’il donne un faisceau lumineux droit et non plus à l’envers, un cône de lumière à l’endroit et non plus à l’envers. Un cône de lumière où la lumière vient du sommet et se projette vers la base, non plus un cône de lumière où la lumière vienne d’une mouvante et d’une fuyante base et se concentre sur et vers un sommet. C’est chacune des générations ultérieures qui est juge à son tour et qui projette un unique regard, un unique faisceau vers une base incessamment accrue. Ce n’est point l’appelant qui est un et le juge