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CLIO plaire il peut donner une deuxième leçon, il peut don- ner une mauvaise leçon, il peut donner une mauvaise lecture. De même que le compositeur, qui est un com- positeur de typographie, peut composer un autre texte que celui qu'il a sous les yeux dans le manuscrit, de même l'auteur, qui est un compositeur d'écriture, un compositeur de graphie, peut très bien écrire un autre texte que celui qu'il tient sous le regard intérieur. Un manuscrit est une édition après tant d'autres, un exem- plaire après tant d'autres. Un manuscrit n'est pas le commencement du monde.

(D'autant qu'il est bien rare, dit-elle, que la main de l'auteur marche comme sa tête. Je veux dire : L'auteur a un souci constant d'invention de son propre texte que le typo n'a pas. Le typo à la rigueur peut ne penser qu'au texte qu'il compose. Mais l'auteur, s'il est vrai- ment un auteur, vit dans un affleurement perpétuel de textes. L'un fait tort à l'autre. Celui qui attend presse celui qui passe. Ceux qui attendent pressent, appuient sur celui qui passe. Et une remémoration intempestive de celui qui vient de passer, d'un de ceux qui viennent de passer, peut encore troubler les uns et les autres. Un auteur digne de ce nom vit dans un perpétuel affleure- ment. Une masse énorme, (et non pas seulement des pensées) : des mondes veulent à chaque instant passer par la pointe de sa plume. C'est un océan qui doit, qui veut s'écouler par une pointe. Or il ne peut passer à la fois que l'épaisseur, que la largeur d'une pointe. Com-

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