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Il fallut qu’elle vît tout ce maquignonnage,
Les cadavres tout nus serrés en rangs d’oignons,
Les blessés mutilés traînés sur leurs moignons,
Les morts et les mourants dérivant à la nage ;

Il fallut qu’elle vît cet horrible engrenage
Happer tout le royaume et ces mauvais garçons
Rouer vif tout un peuple et rôtir les moissons,
Sortis du menu peuple ou du haut baronnage ;

Les armes de Jésus c’est la belle marraine
Et c’est le beau baptême et les belles dragées,
Mais plus que le cortège et que les apogées
C’est le deuil et la ruine et la honte et la peine ;

Il fallut qu’elle vît par ce libertinage
Dissiper ce trésor d’honneur que nous gagnons,
Et déserter le Dieu que nous accompagnons,
Comme on déserte un mort dans un pauvre village ;

Il fallut qu’elle vît par ce vagabondage
Retourner ce passé dont nous nous éloignons,
Il fallut qu’elle vît les maux que nous soignons
Monter le long de nous comme un échafaudage ;