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autre œil que nous ne regardons d’ordinaire les personnages que nous avons vus de si près. On peut dire que le respect que l’on a pour les héros augmente à mesure qu’ils s’éloignent de nous : major e longinquo reverentia.

Il y aurait tant à dire sur cette maxime. Mais il faut arrêter ces notes. Ce n’est par aucun éloignement, c’est par un rapprochement au contraire que les cornéliens reçoivent cette dignité.

L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps. Car le peuple ne met guère de différence entre ce qui est, si j’ose ainsi parler, à mille ans de lui, et ce qui en est à mille lieues. C’est ce qui fait, par exemple, que les personnages turcs, quelque modernes qu’ils soient, ont de la dignité sur notre théâtre. On les regarde de bonne heure comme anciens. Ce sont des mœurs et des coutumes toutes différentes. Nous avons si peu de commerce avec les princes et les autres personnes qui vivent dans le Serrail, que nous les considérons, pour ainsi dire, comme des gens qui vivent dans un autre siècle que le nôtre.

Il a raison et on est avec lui. Mais plus au fond, au deuxième degré, de profondeur, courent déjà, sous ces mots de différentes, d'autres, cette inquiétude, ce souci, cette préoccupation de différenciation.

C’étoit à peu près de cette manière que les Persans étoient anciennement considérés des Athéniens. Aussi le poëte Eschyle ne fit point de difficulté d’introduire dans une tragédie la mère de Xerxès, qui étoit peut-