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§1.Sur le calcul (encore de la science) que nous avons fait sur quarante ans. — Encore un calcul, ou le même, sur quarante ans. Quarante ans peut être quarante ans d’âge ou quarante ans de durée. Sous cette réserve que c’est la durée qui amène l’âge. (Il pleut des vérités premières.) Ainsi cet âge que nous avons, ces quarante ans, un rien, ce rien de durée qui nous sépare de la première enfance, ces quarante ans qui tiennent dans le creux de la main, d’une part c’est tout ce qui nous sépare de 70, qui est si loin, et également, aussi long, d’autre part c’est ce qui séparait les Châtiments de Waterloo, le Hugo des Châtiments du Napoléon de Waterloo.

D’autre part quand nous étions enfants nous étions comme infiniment plus près des Châtiments qu’il n’était près de Waterloo. Car nous touchions pour ainsi dire aux Châtiments. Nous les touchions de la main. Quand j’étais jeune et que Boitier me les faisait lire, en somme c’était un livre qui venait de paraître. La République aussi venait de paraître. Était un livre qui venait de paraître. Et que nous lisions, de quel cœur. Nous étions à vingt ans des Châtiments, trente ans, et lui il était à quarante ans de Waterloo. Emportés par le courant, tout occupés, tenus par l’astreinte et par le foisonnement de la vie nous ne nous sommes pas aperçus que c’est vers 1895, (nous avions vingt-cinq ans), que nous passâmes le point critique. 1894 ; 1895 ; 1898. L’affaire Dreyfus déjà fermentait. Au moins en dedans. Secrètement pour nous. Non pas secrètement pour tout le monde. Depuis un an elle était comme décrétée. Elle avait été ouverte. Officiellement ouverte. Ouverte comme par un décret de (la) destination. Un an, deux ans elle allait fermenter,