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qui dépassent tout. Et qui par conséquent signifient plus que tout. Et comme il avait toutes les chances ce jour-là, les deux premières syllabes étaient très hébraïques, car elles étaient aussi les deux premières syllabes de Jéricho, qui est, je pense, authentique. Son mot, son nom partait comme Jéricho. Eh quoi, choisir péniblement un nom parmi ceux qui existent, laborieusement, quelle servitude, quel aplatissement, quelle soumission à l’histoire et devant la géographie. Quelle bassesse. Et puis c’est pas commode. Les noms qui existent ne sont pas toujours justement ceux qu’il faudrait, ceux qu’on voudrait, ceux qu’on aurait besoin. La géographie est si mal faite. La preuve c’est que Blanchard n’ose plus venir me voir. Et puis, chercher un nom réel qui aille bien, qui fasse la rime d’avance dans les atlas, au fond c’est aussi truqué, (sinon plus), et en somme c’est beaucoup plus de mauvaise foi que de forger tout tranquillement pour la rime un nom à la rime. Et pendant qu’on forge de le forger tout entier. Quand on est Danube, il ne faut pas se gêner. Il y a plus de mauvaise foi à tricher, à truquer pour prendre un nom vrai, puisque en somme ce nom on ne le prend point naturellement, on ne le prend point à la bonne franquette, comme il vient, comme il se présente, on ne le prend point au hasard, mais on le recherche insidieusement avec l’arrière-pensée de le trouver justement comme on a besoin qu’il soit. Puisqu’il faut choisir, étant donné qu’il faut choisir, on ne prend pas même le nom essentiel, celui qui représenterait le plus, celui qui représenterait au centre. Mais on prend celui qui rime. Alors autant le faire. Mieux vaut le faire. C’est plus simple. C’est plus franc. C’est plus droit. Ne descendons