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je ne suis jamais ; ce que pour eux (et même et surtout pour moi, et pour tant d’autres) je ne serai jamais. Quoi que vous fassiez, quelque confiance que vous leur inspiriez, quelque confiance qu’ils vous fassent, pour eux vous êtes toujours un visiteur (je ne dis certes pas un étranger), un voyageur, comme le voyageur antique, un visiteur, je dis un hôte. C’est un fin peuple, Halévy, vous le connaissez, et qui entend merveilleusement l’hospitalité. Les convenances, les devoirs de l’hospitalité. Mais les distances de l’hospitalité. Soyez sûr qu’il vous reçoit avec une interférence totale de respect, avec une interférence totale d’hospitalité. Ces jardins propres, ces vignes fîères, ces treilles ; ces allées sarclées, bien ratissées, ces maisons merveilleusement nettes, ces meubles bien essuyés, polis, luisants d’avoir été essuyés pendant des siècles, ces mées luisantes, bien cirées, ces vitres claires comme jour, ces carreaux par terre lavés comme neufs, (on nous parle des Hollandais), et pourtant si vieux, si usés, si poreux, comme des éponges rouges, si usés par les pas de tant de générations, par les pieds des grands pères, par les sabots, (par les souliers, par les clous des souliers), par les pieds nus des ancêtres aujourd’hui disparus, ces carreaux de vitres claires, parfaitement transparentes, ces carreaux rouges de brique par terre, si délavés, spongieux, usés par les pas des aïeux, cette vieille horloge séculaire en noyer ciré, cette vieille (bonne) femme d’horloge, inflexible mais vieille, vigilante mais vieille, soigneuse et peut-être soupçonneuse mais vieille, tout ce ménage bien fait est en lui-même pour lui, pour eux, mon cher Halévy, (et aussi, en dedans aussi pour moi), ce jardin bien tenu, cette vigne bien tenue, ces champs bien tenus, cette maison bien