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mois. Dois-je la trahir, tradere, la livrer au public. Vous me reconduisiez. C’était vous ce jour-là qui me reconduisiez. Nous remontions cette longue côte, cette longue route de Jouy. si merveilleusement, si harmonieusement roulante et déroulée, enroulée, déroulée, qui du bas du Jouy et des canaux et du moulin de la Bièvre monte insensiblement et sensiblement, également, sinueusement, comme un large ruban bien posé à plat sur un sol montant, longeant, bordant l’immense propriété des Mallet, cette large, cette noble route bien faite en serpent qui conduit graduellement jusque sur la plaine où l’on entre comme pour ainsi dire sans s’en apercevoir par l’aménagement, par le ménagement d’un admirable raccord. Et l’on y est comme sans y être entré, sans y être allé, sans y être monté. C’est long, et on y est déjà. Côte à côte nous montions cette route. Il faisait un temps de chien. Vous étiez enveloppé d’un grand manteau brun. Une sorte de bure. Moi aussi je crois. Nous nous taisions. Heureux ceux, heureux deux amis qui s’aiment assez, qui veulent assez se plaire, qui se connaissent assez, qui s’entendent assez, qui sont assez parents, qui pensent et sentent assez de même, assez ensemble en dedans chacun séparément, assez les mêmes chacun côte à côte, qui éprouvent, qui goûtent le plaisir de se taire ensemble, de se taire côte à côte, de marcher longtemps, longtemps, d’aller, de marcher silencieusement le long des silencieuses routes. Heureux deux amis qui s’aiment assez pour (savoir) se taire ensemble. Dans un pays qui sait se taire. Nous nous taisions. Nous montions. Depuis longtemps nous nous taisions. Ce qui m’étonne, dites-vous sans aucune entrée en