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lit, m’en parlait doucement. Je vis rapidement qu’il m’en parlait comme d’une conjuration, mais comme d’une conjuration étrangère, à laquelle il demeurait étranger. De gré, de force ? Je lui dis : Mais enfin qu’est-ce qu’ils vont faire. Ils ne vous ont donc pas demandé conseil ? Il me répondit doucement : Ils ont préféré s’adresser à Jaurès. Ils sont si contents de faire quelque chose sans moi.

Ils, c’était tout, c’étaient tous les autres, c’était Dreyfus qu’il aimait comme un jeune frère.

Il ne fait aucun doute que pour nous la mystique dreyfusiste fut non pas seulement un cas particulier de la mystique chrétienne, mais qu’elle en fut un cas, éminent, une accélération, une crise, temporelle, une sorte d’exemple et de passage que je dirai nécessaire. Comment le nier, à présent que nous sommes à douze et quinze ans de notre jeunesse et qu’enfin nous voyons clair dans notre cœur. Notre dreyfusisme était une religion, je prends le mot dans son sens le plus littéralement exact, une poussée religieuse, une crise religieuse, et je conseillerais même vivement à quiconque voudrait étudier, considérer, connaître un mouvement religieux dans les temps modernes, bien caractérisé, bien délimité, bien taillé, de saisir cet exemple unique. J’ajoute que pour nous, chez nous, en nous ce mouvement religieux était d’essence chrétienne, d’origine