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mort. Pour mesurer la profondeur, la nouveauté d’un tel mot, l’âme éternelle, et même l’âme juive, et l’âme hellénique, il faut savoir à quel point, avec quel scrupule religieux ces hommes, les hommes de cette génération évitaient d’employer le moindre mot du jargon mystique. On parlait alors de recommencer l’affaire Dreyfus, de reprendre l’affaire Dreyfus. Il faut se rappeler qu’entre l’affaire Dreyfus elle-même et la deuxième affaire Dreyfus il y eut un long temps de calme plat, de silence, d’une solitude totale. On ne savait pas alors, du tout, pendant tout ce temps, si l’affaire recommencerait ; jamais. Mieux eût valu qu’elle ne recommençât point. Nous n’eussions point été acquittés par la Cour de Cassation. Mais nous demeurions ce que nous étions, nous demeurions purs devant le pays et devant l’histoire. Mais tout pantelants de cette grande Affaire, de cette première grande histoire, tout suants et tout bouillants de la bataille, tout déconcertés du repos, du calme, du plat, de la paix fourrée, du repos louche, du traité louche, de l’inaction, de la paix des dupes, tout anxieux de n’avoir point obtenu, atteint tous les résultats temporels que nous espérions, que nous attendions, que nous escomptions, de n’avoir point réalisé le royaume de la justice sur la terre et le royaume de la vérité, tout anxieux surtout de voir notre mystique nous échapper, nous ne pensions dans le secret de nos cœurs qu’à une reprise de l’affaire, à ce que nous nommions entre nous, comme des conjurés, la reprise. Nous ne prévoyions pas, hélas, que cette reprise n’en serait que la plus basse dégradation, un détournement total, un détournement grossier de la mystique en politique. Nous en parlions. Lui, dans son