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d’événements beaucoup plus graves qu’il ne lui en arrive, et que sa vie fût moins misérable ; inversement il pourrait ne pas lui arriver tous les événements graves qui lui arrivent, et que sa vie ne fût pas moins misérable ; ce ne sont pas les seuls événements extérieurs qui font l’assurance ou la misère ; la misère n’est pas mathématiquement proportionnée à la gravité des événements extérieurs ; si la seule ingéniosité des supplices d’imagination faisait l’épouvantement d’un enfer M. Mirbeau y suffirait ; mais ce qui fait justement que M. Octave Mirbeau n’est pas Dante, c’est qu’un enfer n’est pas tout constitué par la seule imagination de littérature. Il y faut ou du génie ou ce qui peut seul remplacer le génie et souvent se confond avec lui : d’avoir vécu soi-même une vie, ou de l’avoir vu soi-même vivre de très près, en sympathie, en amour.

Je l’ai dit moi-même à Lavergne et il me permettra de le redire : Jean Coste est un livre si fort que ce n’est pas un livre de série ; ce n’est pas un commencement de série ; ce n’est pas un de ces premiers livres qui annoncent assurément toute une bibliothèque, histoire naturelle et sociale de toute une famille sous la troisième République ; ce n’est pas un de ces premiers livres dont on peut dire après qu’on les a lus : l’auteur en a quarante-cinq dans le ventre et nous en aurons un tous les ans ; c’est au contraire un de ces livres si forts qu’ils paraissent être sortis de l’auteur bien plutôt qu’il ne les a faits ; quand on les a lus il en reste une impression si forte que l’on se demande si l’auteur pourra jamais recommencer ; je ne dis pas cela pour diminuer Lavergne, au contraire, ni pour limiter le champ de son travail éventuel ; j’attends beaucoup de ce qu’il fera ; mais à