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envers la démagogie, ses flatteries aux passions basses qui démoralisaient le peuple et lui abîmaient, à lui Péguy, ces bons travailleurs qu’il adorait. C’est le commencement de ces thèmes empruntés à l’Hagiographie, aux vies des saints, à Joinville surtout et qui lui servent à faire une si fine critique des mœurs vulgaires de son parti. « Je me souviens encore, me dit Louis Gillet, de l’effet de surprise que me fit la lecture de ce Cahier. Péguy devenait donc quelque chose comme un membre de l’opposition socialiste, un dissident, l’enfant terrible du parti ! Je crois qu’il s’amusait beaucoup à taquiner Jaurès. « Vous voyez, lui dit-il, mon vieux catéchisme d’Orléans est meilleur socialiste que vous, le grand pontife. » Au fond, tout en croyant rappeler le socialiste à sa vraie tradition, à sa mystique, comme il disait, il retrouvait tout bonnement la vieille religion française et la foi de sa mère. Quelle surprise et quel charme pour moi qui l’avais connu extrémiste et si farouche !… »

Notre Patrie (1905). Ça, c’est une date dans la vie de Péguy, et c’est un chef-d’œuvre. Je le lis avec émerveillement. Les familiers de Péguy s’accordent à dire qu’ici pour la première fois, il a composé dans sa vraie manière personnelle ; c’est le type achevé, avec Notre Jeunesse[1], m’expliquent-ils, de son art comme poète en prose : rythme, mouvement, idées, style, il est là pour la première fois tout entier. C’est une des réussites

  1. Dans Notre Jeunesse (juillet 1910), les amis de Péguy déclarent que les pages consacrées à Bernard Lazare sont les cinquante plus belles qu’on ait écrites sur Israël. J’aime à enregistrer de ces déclarations. On ne connaît une génération qu’autant qu’on est à même de se placer à son point de vue pour examiner avec elle son horizon et ses sommets.