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nelles ? Et quand les Froment seront nombreux comme les Anglais, quand leur envahissement sera barré, feront-ils des expéditions pour passer le Vaal ? Feront-ils eux-mêmes la guerre ? La feront-ils faire à des mercenaires ? Auront-ils des esclaves, comme ils ont des salariés ? Tout cela finira-t-il par du nationalisme ?

Telle fut la déception que l’Aurore nous apportait de jour en jour. Cette famille en qui nous avions mis nos espérances les plus chères tournait mal, sous nos yeux. Zola n’était pas devenu socialiste. Par quel mystère ce révolutionnaire admirablement ardent avait-il pu ne pas se fondre à son propre feu ? Comment celui qui fut le protagoniste de la Justice dans une cause individuelle n’a-t-il pas reconnu que l’injustice universelle passait tous les jours ? Comment a-t-il pu introduire l’injustice, l’injuste concurrence au plus profond d’un livre écrit en exil ? Cela déçoit l’attente et passe l’entendement. Quand des socialistes ne sont pas révolutionnaires comme Zola, c’est une grande inconséquence. Mais quand un révolutionnaire comme Zola n’est pas socialiste, c’est une grande inutilité. La révolution n’étant que le moyen du socialisme, et celui-ci étant la fin, mieux vaut encore, socialement, un socialiste qui n’est pas révolutionnaire, qu’un révolutionnaire qui n’est pas socialiste du tout.

Ce qui accroissait la tristesse de la déception, c’était que nous reconnaissions dans ce roman, faisant valoir une cause évidemment mauvaise, les qualités de Zola que nous aimons. Nous avons retrouvé là cette ordonnance classique admirée dans la Lettre au Président de la République et dans la Lettre à Monsieur le