Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Commencée au bon soleil de la campagne, la bataille avait peu à peu fini sous la pluie oblique épaisse, et dans la boue de la terre grasse des terres ; quand le rassemblement eut sonné, quand on eut piétiné sur place immobile dans la terre au bord de la route le temps indispensable, on se remit en route pour la grand halte sous la pluie, car il ne pleuvait pas moins que dans l’Aube fraternelle, et pour la grand halte les troupes ne s’acheminèrent pas vers une aire plane, sèche et bien aérée ; mais brusquement elles descendirent lourdement de la route à droite par un chemin boueux, glissant, liquide, mouillé, de flaques, de terre, et d’herbes glissantes, gluantes, piétinées de boue. Les premiers pouvaient marcher encore ; mais les suivants glissaient, tombaient, descendaient, coulaient dans une basse prairie humide comme une mare, où tous les pieds ferrés et cloutés de tous les hommes barbotaient dans la vase et dans les herbes flasques souillées vaseuses.

Vous savez ce que c’est que la grand halte. Celle-ci fut lamentable. Naturellement les hommes manquaient d’eau. On manque toujours d’eau quand il pleut. On manquait de bois, sec. Tout était trempé. On manquait de tout. Tout le monde était éreinté. On ne put faire le café. On mangea couché, vautré comme on pouvait sur la courte berge luisante, glissante, herbeuse, vaseuse, du petit, tout petit ruisseau commun de Brie qui passait au bord du pré, en contre bas de la route. On tortillait comme on pouvait son pain trempé, on mangeait depuis dix minutes des sardines et du saucisson, quand quelqu’un demanda :

— Qu’est-ce que c’est que cette affaire-là qui coule ?

— Je ne sais pas, dit un autre.