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grâces. Confondant en eux deux fonctions militaires, ils font à la fois la fanfare et le commandement. Quand les corps expéditionnaires de Chine sont partis, on a osé invoquer ce premier essai de confédération européenne. Et quand les chefs sont réunis en congrès, tout se passe comme si le socialisme universel n’avait qu’à dire un mot pour disposer du monde. Montage de coup. Le monde se fout de nous[1]. La démocratisation et la fausse démocratisation n’ont conduit qu’à donner aux peuples souverains ou faussement souverains les vices des capitaines. Le peuple français, le peuple anglais, le peuple allemand ont reçu et fomenté des perversités que le sort des âges révolus n’attribuait qu’aux chefs. Les peuples mêmes sont devenus pillards, menteurs, voleurs, assassins, nationalistes et militaristes. Alors pourquoi faire les malins ? Nous avons contre nous la lourdeur de l’ignorance et le vice de la perversité de tous les peuples mêmes. Et pourquoi faire les petits bons dieux ? Nous avons contre nous le monde même que nous voulons refaire. Sauf de rares exceptions, les passions bourgeoises croissent parmi les peuples mêmes comme elles ne croissaient pas jadis parmi les aristocraties et naguère parmi les bourgeoisies. Pourquoi nous le dissimuler. Quand il faut bâtir un immeuble de dix mètres et que les maçons arrivent au pied du mur, on ne voit pas que l’entrepreneur les assemble et leur annonce : Mes enfants, nous allons bâtir un tout petit mur de deux mètres et demi, — dans l’espoir qu’après que les maçons auront conduit le mur jusqu’à deux

  1. Je prie qu’on pardonne à mon ami Pierre Baudouin la violence de cette expression. Il venait d’assister à la représentation du Danton et les gros mots lui venaient volontiers.