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intérêts composés. À cet égard j’étais comptable. Au bout des dix ans le journal partirait. L’affluent des souscriptions mensuelles continuerait inépuisable. Et quand le public aurait en mains pour la première fois de sa vie un journal honnête, un journal bien fait, il nous ferait un accueil tel que le journal serait indéracinable.

J’administrais la comptabilité. Je fabriquai des registres, simples cahiers scolaires. Je tins une comptabilité mystérieuse. À la fois scrupuleuse et mystérieuse. Les mouvements des fonds étaient marqués par la valeur, par la date, et par les seules initiales. Au cas où la police y eût mis le nez, elle n’y eût appris que les nombres et l’alphabet. Ces précautions sont devenues amusantes. Elles étaient sérieuses. M. Méline et M. Dupuy, non pas M. Waldeck-Rousseau, trahissaient alors la République.

Cette institution de jeunesse ne prospéra pas. Je ferais plaisir à beaucoup de personnes si j’attribuais à la faiblesse humaine l’étiolement de cette institution. Mais j’aperçois des causes, que je distingue en intérieures et en extérieures.

Je ne sais pas bien si j’avais été l’initiateur de cette institution, car elle était née à peu près spontanément. La première croissance fut rapide. Mes amis d’Orléans, mes nouveaux amis de Lakanal et de Sainte-Barbe accueillirent l’idée commune et souscrivirent. Ils n’ont pas cessé depuis de souscrire leur mensualité, sans fatigue.

La seconde croissance fut assez rapide. J’étais à l’école normale. C’était un lieu favorable, malgré d’apparentes résistances. Une compagnie de jeunes gens, étudiants internés, toute faite, se prêtait à une attentive propagande et à la formation d’une compagnie d’action. L’institution commune se grossit de normaliens nombreux et pour la plupart considérables.

La troisième croissance, qui eût débordé les anciennes amitiés et les nouvelles camaraderies, ne se produisit pour