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Pierre Corneille. D’ailleurs il est plus difficile de traduire en poète que de donner, de produire, soi-même en poète. Je vous assure que ces plaintes et ces consolations, s’il est permis de les nommer ainsi, étaient redoutables quand elles étaient chantées à la scène, et qu’elles étaient accompagnées.

— Je les entendis, docteur, au temps que j’étais jeune. Les lamentations harmonieuses d’Antigone et les lâches consolations harmonieuses du chœur me paraissaient redoutables, mais nullement épouvantables comme les imaginations de l’enfer chrétien. Jamais les païens, qui aimaient la vie et la beauté, n’ont pu ni voulu réussir à de telles épouvantes. Il faut qu’il y ait au fond du sentiment chrétien une épouvantable complicité, une hideuse complaisance à la maladie et à la mort. Vous ne m’en ferez pas dédire.

— Les lamentations antiques et les consolations du chœur vous paraissaient harmonieuses représentées sur la scène aux Français. Nul doute qu’elles ne fussent harmonieuses représentées devant les Athéniens. Mais j’ai peur que dès ce temps-là, mon ami, la maladie et la souffrance, la mort et l’exil ne fussent pas harmonieux aux misérables qui les enduraient dans la réalité. Il y a loin de la douleur tragique aux laideurs de la réalité. Vous n’avez pas oublié toutes les horreurs de l’histoire ancienne, les horreurs barbares, que les Hellènes ont connues, et, aussi, les horreurs helléniques, les haines et les guerres civiles parmi les cités et dans les cités, les massacres et les ravages, puis la haine et la guerre des pauvres et des riches, les tyrannies, les oligarchies et les démagogies, et, déjà, la triste résignation dure d’Hésiode. Non, mon ami, je ne suis pas