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en cage. Quelquefois, je comptais le nombre de pas que je faisais…

Mais n’entends-je pas un bruit sourd dans le couloir ? Un sentiment de bien-être commence à m’envahir. Les guichets des cellules voisines grincent en s’ouvrant. Ah ! bienheureux voisins, ils dînent déjà !… Une vapeur chaude et parfumée s’élève de leur borsch, — je suis sûr qu’aujourd’hui on nous donnera mon borsch aigre favori… C’est étonnant comme j’aime tout ce qui est acide, maintenant, et le pain sera pour sûr très bon ! Le grincement des guichets devient de plus en plus proche… encore un, à côté, et on va me donner à manger. Mais qu’est-ce ? On paraît vouloir m’oublier, aujourd’hui ! Serait-ce possible qu’on me laisse sans dîner ?… Je m’approche de la porte et je cherche une fente par où je pourrais voir dans le couloir ; je me soulève sur la pointe des pieds ; je colle l’oreille à la serrure. Mais, hélas ! je ne vois ni n’entends rien. Je m’efforce de me hausser encore et encore… Soudain, le guichet s’ouvre :

— Venez au bain !

— Je n’ai pas dîné.

— Venez, venez !

J’ai oublié que c’est vendredi aujourd’hui et qu’il y a juste un mois que je n’ai été au bain. Si on m’avait donné à manger d’abord, quel plaisir ce bain ne m’aurait-il pas procuré ! Comme il fait bon au bain, et surtout lorsqu’on prend une bonne douche froide. Cela vous réveille à la vie ! Une pluie fraîche vous inonde la tête et le visage… Ah ! que cela fait de bien… Mais je commence à avoir froid… brr !… Et j’ai faim, je n’aurai aucun plaisir au bain, et après il faudra de nouveau attendre un mois entier avant d’y aller.