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D’autres fois, surtout la nuit, je me mettais à calculer combien de minutes et de secondes j’avais déjà passé en prison. Lorsqu’après des efforts inouïs je parvenais à un résultat quelconque, je l’inscrivais sur le mur, toujours à l’aide de mon sang. J’en avais à ma disposition autant et plus que je n’en aurais voulu — mes gencives étaient enflées et un sang scorbutique en coulait tous les jours en abondance.

Pour user de mes cartes, il fallait dépenser beaucoup de ruse et d’ingéniosité d’esprit : il fallait m’arranger de manière à ce que le factionnaire ne pût rien voir ; car, dès qu’il aurait remarqué quoi que ce soit d’insolite, il aurait fait son rapport au directeur, et mon jeu, qui m’était presque devenu cher, aurait été confisqué. Pourrais-je me passer de mes cartes si pleines de sagesse et de vie et qui m’avaient déjà fait tant de prédictions complètement exactes à propos de mon dîner ? Qu’arriverait-il, me disais-je parfois, si les mains rouges découvraient mes cartes ? Elles me les prendraient et les jetteraient au tas d’ordures avec mépris ; et pourtant il y a de mon sang, là… Ah ! que je m’ennuierais sans mon jeu !

La pensée d’une pareille perte me remplissait de terreur. Je rassemblais alors mes cartes avec hâte et les cachais prudemment sous les pieds du lit ou sous le matelas, suivant que le plancher avait été lavé depuis plus ou moins longtemps.

Je m’amusais à me prédire l’avenir après dîner. La matinée se passait à compter les rayures du papier de la tapisserie, à calculer le nombre de minutes passées en prison, à inspecter mes bas et mes pantoufles, à me chausser et à me déchausser, ce qui me causait infiniment de plaisir. Vers onze heures,