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Ma convalescence fut longue et pénible. Il se passa au moins trois semaines avant que je pusse me lever. Je restais étendu sur ma couchette tout le long du jour sans mouvement, sans pensée. Ma bouche était si aride que j’avais de la peine à remuer les lèvres pour répondre aux questions sans fin de Gratchef. Il s’occupait toute la journée de moi. Même le soir, après dix heures, dès que la ronde de nuit était terminée, il venait se coucher par terre à la porte même de ma cellule pour dormir auprès de moi. Je n’avais qu’à faire un mouvement pour qu’il fût debout. J’étais très exigeant, capricieux même ; si quelque chose ne se faisait pas d’après ma volonté, je me mettais à pleurer comme un enfant. Gratchef supportait tout.

Une nuit je lui dis :

— Si j’avais des pommes !

— Attendons le jour, me répondit-il d’un air dégagé, peut-être qu’il y en aura des pommes !

Puis il s’éloigna dans un coin et défit un nœud dans sa chemise où il cachait quelque menue monnaie reçue en payement de sa ration de viande qu’il vendait à des détenus plus riches que lui. Gratchef comptait et recomptait son trésor : il semblait que la dépense imprévue qu’il se promettait de faire en m’achetant des pommes allait causer une grosse