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Ces persécutions me mettaient hors de moi, d’autant plus qu’elles se répétaient plusieurs fois par jour sous une forme ou sous une autre. Petit à petit je ne pus, littéralement parlant, penser à rien d’autre qu’au directeur. Tout ce qui m’entourait me le rappelait. Je rêvais de lui en dormant. Il se changeait en une espèce de cauchemar, en une puissance fatale qui, contre mon propre gré, attirait à elle toute mon attention. Tous les matins, au moment où il entrait, mon cœur se mettait à battre d’un mouvement accéléré. Je me disais : Il y aura quelque chose, comme toujours. Je restais des heures entières plongé dans une rêverie fiévreuse, imaginant les moyens les plus fantastiques, les plus impossibles de me venger… Alors les rôles seront changés, me disais-je ; il s’abaissera devant moi, il me baisera les pieds, il me dira qu’il a une femme, des enfants, une vieille mère et qu’il leur est attaché… Il me demandera de l’épargner, de pardonner… Alors je lui dirai tout, tout…

Je lui expliquerai ce qu’ils sont eux tous, lui et ceux qui m’ont enfermé ici… et je le chasserai de ma présence !… Quelquefois ma vengeance imaginaire allait plus loin ; cela arrivait immédiatement après quelque avanie plus grossière que d’habitude. Alors je m’adressais un discours à moi-même comme à un tiers : Et tu lui pardonnes après cela ! Tu t’efforces de le disculper !

Lorsque je revenais à moi après ces élucubrations, je ressentais de la douleur et de la honte. Je comprenais que je m’abrutissais, que je devenais idiot.